« Je me sens comme les autres sur le tatami » : aveugle, Jeanne rivalise avec les judokas valides » Par Guillaume CHASSAING. Non voyante, Jeanne Llano-Alonso, 10 ans, pratique le judo à la Garde du Vœu à Hennebont (Morbihan) depuis cinq ans. Elle vient de se qualifier pour les championnats de Bretagne benjamins. Rencontre. Avec sa canne, elle se déplace doucement, mais sûrement, dans les couloirs du gymnase Victor-Hugo, à Hennebont (Morbihan). Même si elle touche parfois un mur ou une porte, Jeanne Llano-Alonso, 10 ans, se retrouve rapidement sur le tatami du dojo. Aveugle depuis l’âge de 2 ans après avoir eu un cancer de la rétine, elle pratique le judo à la Garde du Vœu depuis cinq années. « On cherchait un sport adapté et adaptable au handicap de Jeanne, et qu’elle avait envie de faire, confie son père Frédéric Llano-Alonso, 45 ans. Son grand frère en a fait et moi aussi. » « Et j’ai eu envie d’essayer », complète Jeanne. La première année, le père accompagne sa fille à tous les entraînements. « Je lui tiens la main, confie-t-il. Je lui décris les mouvements. On trouve des astuces pour appréhender la superficie de la salle et du tatami. Elle entend les sons de la réverbération des masses et ainsi elle a conscience des obstacles. » Jeanne image : « Je sens quand il y a les lignes du tatami ou quand il y a un mur. » « Les combats ne me font pas peur » Elle se fait des copines et copains. Ils prendront le relais du père à partir de l’année suivante. Jeanne apprend aussi « et surtout à chuter, indique son entraîneur Arnaud Le Gouallec. Une fois que vous comprenez comment tomber, vous n’avez plus peur de combattre ». La jeune judokate confirme : « Les combats ne me font pas peur. » Cette année, elle s’est présentée aux Interclubs et au championnat du Morbihan des valides dans la catégorie des benjamins. « Il n’y a pas de compétition pour les non-voyants de son âge, indique sa mère Jessica Llano-Alonso, 41 ans. Il y a très peu de judokas déficients visuels. » Le seul aménagement dont bénéficie Jeanne est qu’un combat avec elle commence quand les deux judokates prennent la garde en posant chacune leurs mains sur le kimono de leur adversaire. Elle s’est imposée à plusieurs reprises. « Aux départementaux, j’ai remporté deux combats sur trois et je me suis qualifiée pour le championnat régional en -32 kg (dimanche 26 mai 2024 à Quimperlé) », détaille Jeanne. « On est fiers d’elle, confie son père. Au judo, on ne peut pas vraiment anticiper les mouvements de l’adversaire. C’est un fait : combattre les yeux fermés n’est pas facile. » L’entraîneur de la Garde de Vœu, ceinture noire, a fait l’expérience : « Rien que pour monter sur le tatami, c’était compliqué. » Comment fait Jeanne ? « J’essaye d’anticiper les prises de mes adversaires, répond la judokate. C’est difficile parce qu’un premier mouvement peut entraîner différentes prises. Parfois, je fais des paris. Tout se fait naturellement. » Arnaud Le Gouallec complète : « Elle s’adapte à ses adversaires. » « Un challenge » avec son père Jeanne reprend : « Je me sens à l’aise et comme les autres sur un tatami. » Son père estime que « le judo lui a donné de la confiance en soi dans sa vie de tous les jours ». Actuellement en classe de CM2, Jeanne se rend régulièrement à Auray, à l’association Gabriel-Deshayes. « Elle suit une scolarité normale avec un ordinateur en braille et se prépare tranquillement pour aller en 6e, indique sa mère. Elle fait aussi du piano et écrit des chansons. Elle fait ses choix. On ne la pousse pas du tout. » Jeanne participe au projet Ambassadeurs handisport 24 et va assister à des épreuves des Jeux paralympiques à Paris (du 28 août au 6 septembre 2024). D’ailleurs se voit-elle un jour participer aux Jeux ? « Pas vraiment, répond la judokate ceinture vert orange. Pour le moment, mon but est d’aller jusqu’aux cadets. » Jeanne et son père, ceinture bleu et qui vient de reprendre les entraînements après une pause de vingt ans, se sont lancé un challenge : « Qui sera le premier à obtenir sa ceinture noire ?, révèle Frédéric Llano-Alonso. Elle peut gagner ce défi. » Jeanne sourit.